Auditoire UA2.220 GUILLISSEN
Plan d'accès au square Groupe G
Campus du Solbosch de l'ULB, 50 avenue Franklin Roosevelt, 1050 Bruxelles
Avec le soutien du Fonds National de la Recherche scientifique et de la Faculté de Philosophie et Lettres Étudiants, chercheurs, travailleurs, chômeurs, de toutes générations sont bienvenus
Programme
et aperçu des interventions
8h 30 : Accueil des participants – Documentation, exposition
9 h : Pique Nique sur une tombe, de Maurice Taszman (Bruxelles, Paris, Berlin - Volksbuhne etc.) Création de l'Atelier théâtral de l'ULB : des hommes et des femmes enterrent le Travail.
9h30 : Michel Majoros, historien (ULB) : Lafargue, Marx, aliénation, temps de vie
« Vivre en travaillant » devenait, pour les salariés de l'essor du machinisme, l'alternative : vivre et mourir pour travailler, ou mourir de faim. Le Droit à la paresse de 1880 ne représentait pas qu’une Variété , un désir de loisir. Les briseurs de machines des débuts de la révolution industrielle, les émeutiers de Liège et de Charleroi, les manifestants du 1er Mai de Chicago et de Fourmies, aux heures de vie disloquées et abruties par le surtravail sans bornes, voulaient respirer et retrouver leur vie. Tandis que diverses théories, utopies, ou magies projetaient un monde meilleur, Le Droit à la paresse participa a une stratégie, sur le terrain de l’entreprise, pour reconquérir la maîtrise de notre temps.
10 h Corinne Gobin, politologue (ULB) : Le droit à la paresse au coeur du droit politique au salaire
Le droit à la paresse est une urgence destinée à créer une rupture indispensable avec l’exploitation et la domination des êtres humains par le travail subordonné à l’activité capitaliste. Il ne peut être bien entendu un principe absolu car abolir le travail humain en tant que tel détruirait automatiquement toute société humaine vu que nous sommes nécessairement des êtres sociaux, dépendants les uns des autres pour nous organiser. Si nous définissons le travail comme l’activité reconnue utile par tous afin que la société organise épanouissement et émancipation et que nous décidons que cette richesse produite soit valorisée monétairement, dès lors l’enjeu se déplace : une autre revendication voit le jour, le droit universel au salaire à partir de la majorité civile et politique.
10h 30 : Nathalie Burnay, sociologue (UCL/FUNDP) : Le droit à la paresse face aux transformations normatives du travail :
À partir de l’enquête européenne sur les valeurs de 2010, notre contribution montrera à la fois que le travail continue de structurer nos vies et de définir nos identités, mais aussi que l’on assiste aujourd’hui en Belgique à une transformation normative intéressante : le travail semble en effet être en perte de vitesse dans certaines catégories de la population. Ces résultats confirment d’autres résultats européens. « Ainsi, près de la moitié des Britanniques, des Belges et des Suédois souhaiteraient que le travail prenne moins de place dans leur vie » . Cet apparent paradoxe peut notamment s’expliquer par un nécessaire recadrage du travail dans d’autres sphères jugées tout aussi importantes, par la difficulté croissante à trouver du temps pour concilier ces différents pôles identitaires et par la dégradation des conditions de travail ces dernières années. Des différences importantes existent au sein de la population et trouvent leur origine davantage dans des caractéristiques intrinsèques au travail : ainsi, elles se marquent dans le fait d’avoir un emploi de qualité et dans la satisfaction que l’on éprouve vis-à-vis de celui-ci. Ces résultats renvoient de manière indirecte à ceux formulés par C. Baudelot et M. Gollac en France : satisfaction au travail rime avec bonheur dans les professions les plus valorisées, les mieux rémunérées et les plus stables. Dans ce sens, c’est le contenu même du travail qui procure une forme de bonheur.
11 h : Esteban Martinez, sociologue (ULB) : Disponibilité au travail, démesure du temps :
Les temps ont bien changé depuis l’époque où le travail était strictement délimité par des durées et des horaires collectifs assurant la synchronisation de l’ensemble des temps sociaux. Ces dernières décennies sont marquées par le ralentissement, voire l’inversion, du processus de réduction collective du temps de travail et par une flexibilité croissante des horaires de travail. Si bien qu’à présent les variations du temps de travail sont banalisées.
L’histoire de la régulation du temps de travail ne s’apparente en rien à un long fleuve tranquille. L’organisation sociale du temps qui prédomine dans les sociétés développées a été façonnée par la discipline du temps issue de l’industrialisation. La réglementation du temps de travail est dès lors devenue l’enjeu central du rapport salarial et une source majeure de conflits sociaux pour la maîtrise du temps. On assiste à présent à la déstabilisation de cet ordre temporel qui se marque à travers une diversification des durées et de l’organisation du temps de travail. La catégorie du temps est mise en cause dans sa fonction d’évaluation du travail et comme instrument de protection des travailleurs. Ce mouvement historique qui va de la mesure à la démesure du temps amène à appréhender l’engagement professionnel des salariés moins en termes de règles formelles que sous l’angle de la disponibilité temporelle. Les rapports entre temps et salaire tendent à se polariser autour de deux modèles contrastés. Lorsque le travail du salarié n’est plus mesuré en temps, mais soumis à des obligations de résultat, le temps de travail n’est plus qu’un produit corollaire des fluctuations de l’activité. L’entreprise n’a plus à se soucier d’économiser cette ressource puisqu’elle ne lui est plus portée en compte. Dans les organisations flexibles, la coordination de l’activité repose ainsi sur la disponibilité temporelle des salariés. A l’heure où la perspective d’un équilibre entre la vie professionnelle et la vie privée n’est envisagée qu’à long terme à travers des comportements de renoncement et de retrait, ciblant particulièrement les femmes, il convient de réhabiliter le temps de travail en tant que condition de travail ayant des impacts au quotidien sur la qualité de vie, de le considérer comme une dimension contingente du travail donnant prise à des actions préventives et objet central de la négociation sociale.
11 h 45 : Eduardo Sartelli, historien (Universidad de Buenos Aires) - Lafargue contra la ideologia del trabajo en America latina :
Le droit à la paresse contient la conclusion logique du Capital et constitue l'apogée et la fin de l'économie politique. Il implique l'extinction de la loi de la valeur, qui s’exprime dans la montée en puissance du travail humain par la technologie: le règne de la nécessité cède à celui de la liberté. Cette découverte scientifique nous permet la confrontation idéologique avec le capital, qui propose, comme solution à la crise actuelle, plus de travail. En fait, la solution du problème est de travailler moins. Travailler tous, travailler moins, conduit à une réduction radicale des heures de travail, un processus portant en germe toute une révolution sociale, qui se profile désormais sous la forme de rébellion mondiale de la population excédentaire. Les Piqueteros argentins, le Mouvement des Sans-terre brésilien, les paysans boliviens, les masses vénézuéliennes, la génération à 1000 €/mois, les indignés européens et nord-américains, la population excédentaire du monde, tous sont confrontés à un dilemme mortel : le chômage capitaliste ou le temps libre par le socialisme. Notre intervention discutera de ce processus et de ces perspectives en Amérique latine, avec l'espoir qu'il contribue à penser le processus européen en cours.
Eduardo Sartelli parlera en espagnol ; une traduction écrite sera à la disposition des participants
12 h 15 : Apéritif et déjeuner
14 h 00 : Guillaume Paoli, philosophe (Schauspiel, Leipzig) : Postface urgente au Droit à la paresse
Dans le pamphlet de Lafargue se mêlent des éléments pour le moins hétéroclites: satire et argument théorique, nostalgie de l'âge pré-industriel et mythe de la machine libératrice, diatribe contre les esclaves volontaires et appel au prolétariat, discours révolutionnaire et éloge du consumérisme. Cette ambivalence n'est pas seulement due à l'intention polémique de l'auteur; elle révèle les contradictionsnon-résolues de la doctrine socialiste de l'époque. Instruits par l'expérience accumulée depuis lors, nous pouvons mieux discerner les impasses et angles morts de l'exposé. Mais ces contradictions nous "travaillent" encore aujourd'hui, et il est aisé d'en trouver des traces dans diverses entreprises se voulant anti-capitalistes. Par ailleurs, "l'étrange folie"stigmatisée par Lafargue est une question des plus brûlantes au moment où s'effondre le système qu'elle soutient. Aussi critique que doive être le regard porté sur le Droit à la paresse, celui-ci n'en reste pas moins fidèle à son objet primordial: que puisse s'épanouir le libre jeu des passions humaines.
14 h 45 : Felipe Van Keirsbilck, secrétaire général de la CNE (Centrale Nationale des Employés CSC) : L'emploi contre le travail : un siècle d'effort pour le droit à la paresse.
Le syndicalisme, mobilisé inconditionnellement depuis longtemps dans une bataille pour l’emploi perpétuellement perdue, doit reprendre le procès du travail.
Le travail use souvent, et tue parfois ; il soumet le travailleur à un « régime domestique » que le citoyen en lui ne peut que rejeter ; en spécialisant les travailleurs il les mutile de leur créativité et de la diversité de leurs savoir faire; il généralise des valeurs guerrières et opportunistes qui polluent jusqu’aux sphères de la vie intime. Il contribue, dans bien des cas, à l’accumulation de biens inutiles voire nuisibles, et à l’accumulation la plus toxique : celle du capital.
Mais le travail a aussi des vertus : parfois il qualifie, parfois il permet l’expression de talents. Et surtout, il a une vertu politique : il donne à la dignité très théorique du citoyen une assise concrète, par le pouvoir des travailleurs organisés. Ce que la Constitution me promet, c’est le rapport de forces dans la machine productive qui me le donne.
Si le travail a des vertus, qu’elles soient partagées pour tout le monde, et amplifiées par la qualité de l’emploi ; et s’il a d’énormes défauts, qu’ils soient repoussés dans des zones bien délimitées de nos vies, et combattus encore au sein même de ces zones.
Sans être la seule piste à proposer, la réduction collective du temps de travail reste une urgence et une priorité : moins d’heures par semaine, moins de semaines par an et moins d’années dans la vie.
(Pause éventuelle)
15h 30 : Daniel Tanuro, agronome : Le droit à la paresse, l'impossible capitalisme vert et l'alternative au productivisme
L’accumulation capitaliste se heurte aujourd’hui à des limites écologiques que la valeur ne peut prendre en compte. La crise climatique illustre l’antagonisme entre le productivisme du capital et la gestion rationnelle (on dira plutôt : prudente) des échanges de matière entre l’humanité et la nature. Elle valide et invalide à la fois le cri de Lafargue. D’une part, la nécessité impérieuse de réduire la production matérielle et les transports confère une actualité indiscutable au plaidoyer pour l’abolition du surtravail, la suppression des productions inutiles, le partage du travail nécessaire, donc de la réduction radicale du temps de travail - couplée à une redistribution des richesses. D’autre part, le capitalisme a développé les forces productives matérielles d’une manière et à un point tels que le droit à la paresse ne peut être envisagé sans questionner les machines, notamment dans l’agriculture. Le royaume de la liberté n’adviendra pas sans une ré-appréhension/relocalisation collectives de celui de la nécessité.
16h 40 : Isabelle Stengers, philosophe (ULB) : Le droit à la paresse, une revendication cruciale
Le caractère délibérément absurde du pamphlet de Lafargue, les ouvriers assoiffés de travail, tout comme ce qui, pour lui, répondait à l’avenir, la machine libérant l’homme du travail, éclairent curieusement notre actualité. Plus de trente ans après le fameux « travailler deux heures par jour », une armée de petites mains s’appliquent à faire désirer aux sans emploi un job, n’importe lequel. Quant aux machines, elles font désormais partie non de la solution mais du problème car la question de leurs exigences sociales et écologique n’a pas progressé d’un pas depuis les analyses de Polanyi. Le droit à la paresse se dit aujourd’hui désertion, objection de croissance, réponse logique à la guerre économique tous azimuts. Nous souvenant de ce qu’écrivait Rosa Luxembourg pendant la première guerre mondiale, il est sans doute crucial que ceux qui ont un travail défendent les droits de ceux qui le refusent.
17h 15 : Discussion générale et conclusions provisoires : Mateo Alaluf, sociologue (ULB)
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